Samedi, 20 octobre 2007Entretien avec Gilles Ruocco professeur de kung fu
Existe-t-il plusieurs pratiques du kung fu (ou kong fu) ?
Tout à fait. La pluralité des styles d'arts martiaux chinois permet à tout un chacun, s'il possède l'humilité, de trouver une pratique et une voie lui correspondant. Je parle d'humilité car bien souvent on voit des gens pratiquer des Gong Fu qui ne leur sont pas réellement adaptés, ne serait-ce que corporellement. C'est délicat mais en même temps dommage car il existe de trés nombreuses pratiques qui permettent à chacun de s'épanouir sur les plans tant physiques, qu'énergétiques et spirituels. Le choix est donc capital. Quelle est celle que vous enseignez ?
La méthode que j'enseigne est issue du Maître Sun Lutang, qui fut un Maître de la fin du 19ème siècle (1861-1933). Il est surtout réputé pour avoir hautement réalisé les trois grands arts martiaux internes que figurent le Xing Yi Quan, le Ba Gua Quan, et le Tai Ji Quan, plus connu. Il est le père fondateur du style Sun, de Tai Ji, qui rassemble les techniques du Ba Gua et du Xing Yi. Toutefois, c'est un Maître qui avait d'autres particularités comme une trés grande érudition malgré ses seules 2 années de scolarité, une profonde connaissance du Taoïsme et de son application dans l'art du pugilat ou encore le fait d'avoir été le premier à écrire des ouvrages pour le grand public au sujet des arts internes. Comment définir les arts martiaux internes et externes ? C'est une fausse question. Les arts martiaux externes et internes se sont toujours assistés et contiennent chacun l'essence de l'autre. Si je prends un extrait d'un des 36 chants pour le Ba Gua, il est dit dedans : “Maître Guo aimait à rappeler que la douceur renferme la fermeté”. Cela signifie que détente n'est pas molesse. De même pour les arts dits “externes”, on devrait pratiquer bien plus les Qi Gong et agir avec moins de force que ce qui est fait actuellement car on peut rapidement basculer dans le travers d'une forme qui n'est incarnée par aucune essence. Ce type de pratique ne suit pas les fondements premiers de la boxe, en tous cas à mon humble avis et d'aprés ce qui m'a été enseigné. Chacun contient l'essence de l'autre mais qu'appelle-t-on art interne et art externe ? Pourquoi finalement cette dissociation ? Clairement, il s'agit pour les stylse externes, des styles se rapportant au monastère de Shaolin et pour les styles internes, les écoles dont les sources remontent au monastère de Wudang. Cependant, la pluralité des styles empêche une classification aussi catégorique et, qui plus est, les Chinois adorent placer de grandes oeuvres sous des noms illustres, c'est ce que l'on retrouve ici. Il y a de nombreux Gong Fu créés par des “particuliers”, des “civils”, des militaires et aussi beaucoup de traditions familiales. Donc pas uniquement des moines. Sans oublier de nombreuses créations par des ermites. Pourquoi cette dissociation ? Je ne sais pas ! Probablement parce que les gens aiment bien catégoriser les choses et mettre des étiquettes. Je le rappelle, ce n'est pas quelque chose qui s'opérait autrefois, c'est une distinction trés récente. Quelle est la base de ce kong fu ? La base à proprement parler de ce Gong Fu repose sur les fondements communs des arts internes tels que la relaxation, la mobilisation de l'energie interne et de l'intention. La fusion du corps, de l'intention et de l'energie en est aussi une composante essentielle. Toutefois, il diffère des autres pratiques comme j'en faisais part dans les questions précédentes, chaque Gong Fu possède ses particularités mais repose sur un fond commun : celui de la prophylaxie et de l'entretien de la santé, qui amène aussi à une grande connaissance de soi par les pratiques solitaires et à la connaissance des autres par les pratiques à deux... Ce qui caractèrise réellement le style Sun est cette synthèse parfaite bien que je n'aime pas trop ce mot, entre les arts subtils du Xing Yi , du Ba Gua et du Tai Ji. Quelles sont les bénéfices que l'on peut retirer d'un art martial que l'on pratique régulièrement ? Les bénéfices les plus directs que l'on peut retirer de l'art martial sont trés simples, en finalité. J'aimerais citer Sun Lutang qui faisait état de ceci : “L'art martial est motivé par l'intention de renforcer notre santé, d'améliorer notre condition physique, d'approfondir nos capacités d'autodéfense, d'eveiller l'Esprit et éventuellement, d'agir sur le cours de la destinée.” Cette phrase est pleine de sens mais aussi de sens caché. Elle mérite qu'on s'y penche un peu plus... En effet il y a un ordre précis que Sun expose dans les bénéfices. C'est pourquoi il est trés judicieux de votre part d'avoir employé le mot “régulièrement” dans votre question. L'autre raison pour laquelle cette phrase est intéressante est qu'il est ici fait état d'une alchimie certaine, typique des arts taoistes de santé. C'est-à-dire que l'on transmute une base fragile en base solide de telle sorte que la vie puisse être préservée. C'est à ce genre de phrase pleine de respect de la vie et de grande compassion que l'on reconnaît la réalisation d'un tel Maître. Y-a-t-il des contraintes à pratiquer le kong fu que vous enseignez ? Absolument aucune. Toutefois il est évident que lorsque l'on pratique certaines activités, celles-ci peuvent entrer en contradiction avec d'autres, et ce, sur plusieurs plans. Je pense notamment à des pratiques sportives qui peuvent amener des tensions musculaires par exemple, alors que l'art interne exige une relaxation profonde de ces mêmes tissus. Mais cet exemple n'est pas valable uniquement sur le plan physique mais aussi mental et energétique. Par exemple, un style de gong fu, pour apparemment un même mouvement, ne verra pas du tout ses applications de la même façon qu'un autre. De plus, si on ajoute à cela la diversité des esprits des pratiquants, on obtient parfois pour un même mouvement d'un même style, des choses complètements différentes ! Sur le plan énergétique, lorsque l'on donne un jour une direction à l'énergie, on ne peut pas lui donner la direction opposée un autre jour, c'est contradictoire. Si on fait un Qi Gong des 5 éléments par exemple, destiné à renforcer l'énergie des 5 organes majeurs (coeur, rate, poumons, reins, foie) et que l'on souhaite travailler efficacement sur cela, on ne peut pas travailler sur d'autres Qi gong qui, par exemple, régénère les Os ( comme Xi Sui Jing ) et ce pour une raison simple : il s'agit d'une pratique de fond qui se perd si elle n'est pas faite régulièrement. C'est pourquoi, entre autres, les “100 jours” sont une méthode qui a été instaurée par les Anciens. Pour réaliser hautement un art, m'est avis qu'il faut d'abord choisir une voie qui nous correspond, et ensuite s'y investir. La dispersion dans la pluralité des activités et la pire chose qui puisse arriver pour quelqu'un qui souhaite réaliser quelque chose de profond. Il ne faut pas se décourager et persévérer dans les efforts, avec le juste contentement de soi et sans fanatisme. Peut-on commencer à tout âge ? Tout à fait. Mais souvent, on conseille de ne pas travailler de la même façon. Simplement, si on conserve l'humilité et la justesse, on peut commencer à tout âge car le fait de ne pas “y arriver” dans un premier temps ne sera pas un empêchement (je pense notamment aux personnes âgées ou en difficulté motrice). En réalité, beaucoup de gens abandonnent rapidement car l'orgueil qu'ils possèdent constitue pour eux un véritable obstacle. Ce type de Gong Fu exige des qualités que tout un chacun peut produire quel que soit son corps et ses aptitudes. Les seules exigences demeurent un minimum de volonté qui s'amplifiera avec la pratique et un esprit disposé. Il faut faire avec ce que l'on a et ne pas essayer d'être la grenouille se prenant pour le boeuf car cela ne mène qu'à des aberrations et parfois inverse le processus du gong fu. C'est-à-dire qu'au lieu d'apporter décontraction et naturel, le fait de forcer va apporter tensions et crispations. Encore une fois, il faut faire attention de bien choisir ce qui nous correspond. Peut-on parler d'une philosophie du kong fu ? On peut parler de philosophie pour toutes choses... Il s'agit simplement de disposition de l'esprit. Qu'entendez-vous par philosophie ? S'il s'agit de sagesse et d'amour, je dirai oui, mais encore une fois c'est quelque chose de trés individuel. La pratique martiale apporte une grande force, capable de repousser des montagnes, me disait un Maître mais j'ajoute qu'à cette force, on se devrait de donner une direction... Quel choix vais-je effectuer? Combien de gens voit-on entrer dans des lieux de pratiques ou des dojos en espérant acquérir une grande force pour ensuite en faire mal usage ? La philosophie du Gong Fu est fortement empreinte de pacifisme bouddhiste et taoïste. Cela inclut le développement de deux qualités primordiales permettant l'Eveil de l'esprit : sagesse et compassion. Si on tâche de cultiver la confiance et l'amour pour les êtres, on se préserve aisément de la violence et de la méchanceté qui conduisent à des états d'enfer particuliers. A l'origine, quelle est son histoire ? L'histoire du Gong Fu en général? Ou l'histoire du style Sun ? Les deux ! Les origines du Gong Fu peuvent être difficilement datées. Sans compter que nombres d'éléments remontent aux premières sources chinoises telles que le chamanisme (environ 4500 ans – 5000 ans). Evidemment, ensuite il y aura toujours quelqu'un pour parler de Boddhidarma et de son apport à Shaolin mais cela est foncièrement faux... Il est juste cité car les Chinois aiment à classer les belles choses sous des personnages illustres. Il ne faut pas être dupes mais bien rechercher ses informations à ce sujet. Et cela concerne les arts dits “externes” autant que ceux dits”internes”... J'entends par exemple les fondations du Xing Yi Quan qui sont disputées entre Yue Fei et Ji Ji Ke.. et encore moins pour le Tai Ji (avec Zhang San Feng ) et le Ba Gua (pour Dung Hai Quan) ! On place les racines sous de grands personnages mais le fait est que nul ne pourra véritablement remonter aux sources sûres de ces arts. L'important est que l'héritage nous soit parvenu et que nous puissions les utiliser. Concernant l'histoire du style Sun, elle se rapporte à un contexte difficile, sous la dynastie des Qing où l'impératrice Douairière Cixi a affaibli le peuple par ses nombreux impôts et autres vols dans les caisses de la Chine. La guerre Sino-Japonaise profilait le bout de son nez. Les Chinois, affaiblis par ces états de faits, avaient une faible constitution physique et c'est à cette époque qu'on les affubla du surnom peu reluisant de “malades de l'asie”. Sun Lutang, dont la motivation première était le renforcement de la santé des êtres, composa tout à la fois ses ouvrages destinés au commun des êtres sur les pratiques internes de l'art du Poing et enseigna pendant plus de 45 ans son art, issu des Maîtres Guo Yunshen, Cheng Ting Hua et Hao Weizhen, pour ne citer qu'eux. Son histoire est marquée par l'incessante volonté de se parfaire, une soif inextinguible de savoir et de nombreuses légendes. Sa biographie est vraiment des plus intéressantes... notamment celle rédigée par Mr Miller d'aprés les propos de sa fille Sun Jian Yun. Dans votre cours, avant de commencer directement le kong fu à proprement parler, vous enseignez aussi les Qi Gong et Nei Gong. Pourquoi commencer par ce travail précisément ? Pour les mêmes raisons que ce qui a été dit précédemment. Ce n'est pas parce qu'une pratique est classé “internes” que sa forme seule mènera à sa réalisation. Autrement dit il faut passer par des préliminaires qui se fondent sur la relaxation ou encore l'enracinement. Le travail énergétique est purement indissociable de la pratique martiale si on se rappelle ce pourquoi il a été mis au point. Pour les Chinois, la médecine comprend à la fois ce que nous connaissons ici mais aussi une profonde notion de l'énergie vitale que l'on nomme “Qi”. Je tiens à insister sur le fait qu'il s'agit même bien plus que d'une notion, c'est en réalité un état de fait. Le “Qi” n'est pas un concept pour eux. Cela “est”, c'est tout. Les fondements du Qi gong ne sont autres que la recherche de l'épanouissement spirituel par la transformation et l'alchimie des énergies internes pour s'accorder avec la mélodie de l'Univers. Tout ce qui vient par la suite ne sont qu'épiphénomènes du Qi Gong. J'entends par là, même au risque de me faire conspuer, tous les apports de santé, de décontractant, “d'anti-stress”, et je passe toutes les méthodes “new-age” qui valent.... ce qu'elles valent...! Le Qi Gong sert à s'épanouir spirituellement, c'est sa racine, son but et sa nature. Par la suite les Qi gong se sont multipliés et plusieurs branches ont vu le jour (thérapeutiques, martiales, familiales, etc..) Concernant l'art martial pur, ce qui est intéressant est de montrer des Qi gong en relation avec celui-ci de façon à ce que les élèves puissent établir le lien entre les deux exercices. Il faut aussi que ce qui est pratiqué en Qi Gong puisse être vérifié en Gong Fu. Le cours doit avoir un fil directeur et une logique. Par exemple dans les “ Dong Gong” (exercices dynamiques) précédant la pratique martiale, il s'agira de trouver ce qui nourrit les principes permettant l'acquisition de la force dans le Gong Fu. En tous cas c'est tel que cela qu'on m'a appris à pratiquer mais aussi à enseigner. Et surtout j'ai pu constater que cela fonctionne. Ce n'est pas parce que l'on apprend quelque chose que c'est forcément source de vérité absolue. Il est intéressant de valider ses acquis par l'expérience personnelle. Sans cela, on est seulement un intellectuel qui répète quelque chose sans l'animer réellement, sans le vivre profondément. Quelles différences y a-t-il entre ces différents “gong” ? Les appellations au final ne sont que des étiquettes. Les différents Gong sont empreints de différences sur plusieurs niveaux... et aussi selon les objectifs...Cela dépend du travail que l'on souhaite entreprendre et les attentes que l'on en a. De façon globale les Nei Gong sont plus fins que les Qi Gong, plus grossiers. Les Nei Gong n'agissent pas non plus sur le même type d'énergie et ses protocoles de pratiques sont différents : par exemple on utilise plus de visualisations, les mouvements sont réduits par rapport au Qi Gong et en ce sens, il est plus fin car s'occupe directement de l'énergie sans passer autant que pour le Qi Gong par le vecteur du corps. Il n'y a pas tant de différences que dans la séparation des dénominations. Certains pensent même que Nei gong n'est autre qu'un synonyme de Qi Gong. Merci Gilles pour cet entretien. Gilles Ruocco donne ses cours et ses stages dans le Vaucluse, notamment à Avignon au dojo du Centre et à Aix en provence au dojo San Sakura. © GDL - source-lumiere.net - 2002-2010 |
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